Apprendre à dire « Non »

J’ai énormément réfléchi ces derniers mois à ce que ça signifie d’être égoïste, de fixer des limites aux autres et d’apprendre à dire non. Je suis rapidement arrivée à la conclusion qu’une saine dose d’égoïsme est nécessaire à toute personne qui veut accomplir quoique ce soit de significatif dans la vie. C’est mathématique. On n’a qu’une seule vie, un seul corps et un temps limité à notre disposition avec une multitude de casquettes à endosser : fils ou fille, frère ou sœur, épouse ou mari, mère ou père, employé ou chef d’entreprise. Pourtant personne n’a ni le temps, ni l’énergie, ni la force mentale de répondre aux sollicitations que tous ces rôles impliquent avec le même dynamisme, 24/24h, 7/7j, 365 jours par an. C’est bien souvent dans la douleur qu’on apprend que le secret d’une vie équilibrée et productive c’est de savoir établir des priorités et d’apprendre à dire non à tout le reste.

J’ai la conviction profonde qu’en tant qu’être humain, notre priorité absolue est d’entretenir les liens que nous avons avec les personnes qui nous sont proches, que nous aimons et qui nous aiment. Cependant, c’est souvent au nom de l’amour que nous avons pour ces personnes que nous serons amenés à passer du temps loin d’elles, que ce soit pour travailler et mettre à manger sur la table ou pour les préserver de notre mauvaise humeur en prenant du temps pour nous-mêmes. Etablir des priorités est donc une tâche à mener et à renégocier au quotidien. Refuser de le comprendre et se convaincre qu’on peut être disponible sans faille pour tout et tout le monde, au même moment, est le moyen le plus sûr de sombrer dans une dépression accentuée par le sentiment de n’être bon à rien.

En tant que mère j’ai souvent été aux prises avec ce sentiment d’inaptitude. Au cours des trois dernières années il m’est souvent arrivé d’être tellement débordée de travail que je n’avais plus assez d’énergie à la fin de la journée pour écouter mes enfants me raconter leur journée à l’école. Contrairement aux autres mères, je ne connaissais pas les prénoms de leurs meilleurs amis ou de leurs enseignants. Lorsqu’il m’arrivait d’aller à leur école, je devais souvent me renseigner pour retrouver leurs classes.

L’année dernière, à la rentrée du deuxième trimestre, j’ai été interpellée par la maitresse de ma petite dernière qui avait constaté son absence une semaine avant le départ officiel en congés. Les évaluations étant terminées, j’avais pris la décision de faire partir les enfants en congés plus tôt que prévu afin de m’épargner le stress d’avoir à les gérer, alors que je préparais moi-même un départ en mission de travail. Pour moi, manquer une semaine de cours n’était pas si grave pour des enfants intelligents. Ce n’était pas l’avis de la maitresse de ma fille, qui a essayé de me le faire savoir avec un discours culpabilisant et une moue désapprobatrice.

J’aurais pu le prendre personnellement, me sentir humiliée et remettre en question mes compétences de mère. Je n’ai rien fait de tout ça, parce que je sais ce que c’est que d’élever seule ses enfants. Je sais ce que c’est de ne compter que sur soi pour les nourrir et mettre un toit au-dessus de leur tête. Je sais ce que c’est d’être la seule à pouvoir veiller à leur chevet lorsqu’ils sont malades. Je connais la charge mentale d’être à la fois père et mère. Alors je ne vais jamais laisser qui que soit me culpabiliser alors que je sais que je fais de mon mieux. Je ne suis pas parfaite, mais je fais de mon mieux. Dans ma liste à cette période-là, rajouter à mon stress de maman solo pour envoyer mes enfants une semaine de plus à l’école, alors que les évaluations étaient terminées, juste pour faire plaisir à leur maitresse… n’était pas ma priorité.  

Apprendre à dire non ce n’est pas seulement prendre le risque de déplaire aux autres, c’est aussi apprendre à faire preuve de compassion envers soi-même, comprendre qu’on ne sera pas toujours à la hauteur de ses propres standards et que ce n’est pas si grave finalement, tant qu’on fait du mieux qu’on peut. J’ai compris qu’être une maman solo qui travaille signifie que je ne serai pas toujours ni la meilleure mère, ni la meilleure employée. J’ai appris à me contenter du juste milieu parce que je n’ai pas besoin d’exceller ni dans un domaine, ni dans l’autre pour être heureuse. Mes enfants m’aiment de toute façon. Quant à mon travail ? Mon patron peut me remplacer à tout moment, alors il est hors de question que je fasse de mon travail le centre de ma vie.

Je dirige ma vie avec flexibilité en me concentrant sur ce qui me parait le plus important et le plus urgent en fonction de mes priorités du moment et de la phase dans laquelle je me trouve dans ma vie. Cela implique de prendre le temps d’établir clairement ses objectifs, de fixer les limites de ce qu’on peut faire et de ce qu’on ne peut pas faire, et d’avoir le courage de dire stop quand on n’en peut plus.

Plus que les hommes, les femmes ont du mal à trouver ce courage. Les injonctions qui pèsent sur elles sont plus lourdes. J’ai plus d’une fois été témoin privilégié en même temps que victime de cette injustice. C’est avec stupéfaction que je voyais les uns questionner mes aptitudes de mère et les autres estimer normal, voire trivial, que mon ex-mari ne paye pas de pension alimentaire pour ses enfants. Devenez mère célibataire et vous comprendrez rapidement que le regard des autres ne paye pas le loyer ! A ce stade, être égoïste et faire de soi même une priorité devient une question de survie.

Donc… Non ! Je ne vais pas mettre en jeu ma santé mentale en essayant de prouver que je suis la mère de l’année, l’employée idéale, l’amie disponible, madame parfaite, psy à temps partiel. Je suis fatiguée. Le monde devra faire avec. Les gens qui m’aiment m’aimeront toujours et les autres n’auront qu’à libérer de l’espace dans mon emploi du temps déjà surchargé. J’ai déjà perdu bien assez d’énergie vitale à essayer de me faire aimer de personnes qui étaient déjà déterminées à me détester quoique je fasse.

Je ne peux pas dire qu’il a été facile pour moi d’en arriver là. Parfois il m’arrive encore de faire des choses par désir de plaire ou par peur de décevoir. Puis le ressentiment s’installe lorsque je m’aperçois que les autres ne me rendent pas toujours ma dévotion. J’ai cessé d’en vouloir à ceux qui ne peuvent pas ou ne veulent me rendre l’amour, l’argent, les services, l’attention… que je leur donne. Aujourd’hui j’apprends à ne donner que ce que j’accepte de perdre. J’apprends aussi à être égoïste pour me protéger et être en mesure de préserver la part de moi qui veut rester généreuse avec les bonnes personnes. Enfin j’apprends à dire non, à affirmer mes limites sans cri, sans m’excuser et sans culpabiliser. Les autres ont le droit de demander. Moi j’ai le droit de dire non. Ils ont le devoir de le respecter.

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